Anne-Sophie Mutter et la création contemporaine
” La création est une provocation nécessaire”
Enfant prodige du violon, lauréate des plus prestigieux concours de la spécialité, reine incontestée de l’instrument dans le cœur du public, adoubée par Herbert von Karajan qui voit en elle « la révélation du siècle » et lui offre un concert aux côtés du Philharmonique de Berlin alors qu’elle n’a que 14 ans, déesse impériale des grandes pages classiques : la vie artistique d’Anne-Sophie Mutter serpente dans notre mémoire musicale comme un long fleuve tranquille qui en ferait presque oublier une autre facette moins connue de sa personnalité artistique : son attachement viscéral à la création contemporaine et son soutien indéfectible à la « fratrie humaine ».
Formée par la célèbre Aida Stucki dont on mesure dans son « archet lumière » tout ce qu’elle lui doit, Anne-Sophie Mutter possède avant tout une intégrité sans concession et une sûreté de soi bien loin d’une posture ostentatoire, qui lui permettent un engagement total pour le son. C’est justement de ce travail minutieux sur les sonorités que découle son extraordinaire appétit de nouveauté : « Il faut préserver la place de la musique contemporaine. Il ne faut pas se renfermer dans une coquille conservatrice […] La création musicale est un miroir indispensable de notre temps et une provocation nécessaire. […] Nous avons besoin de cette inspiration pour grandir. C’est vital tant pour le musicien que pour l’auditeur ; c’est notre combat commun. »
C’est en 1986 qu’elle pose la première pierre à l’édifice de son projet musical en créant Chain 2 de Witold Lutosławski avec le Collegium musicum de Zurich dirigé par Paul Sacher. Suivent En rêve de Norbert Moret deux ans plus tard, puis Gesungene Zeit de Wolfgang Rihm au Festival de Ravinia en 1992. Son amitié avec Krzysztof Penderecki lui vaut d’être la dédicataire de quatre pièces : Metamorphosen, qu’elle crée avec le MDR Orchestra de Leipzig dirigé par Mariss Jansons en 1995, la Sonate pour violon et piano créée en 2000 avec son complice de toujours Lambert Orkis, le Duo concertant pour violon et contrebasse donné en 2011 et La Follia, pour violon solo, deux ans plus tard.
2002 voit la création du nocturne pour violon et orchestre de Henri Dutilleux, Sur le même accord, donné au Royal Festival Hall de Londres avec le Royal Philharmonic Orchestra, et celle du Concerto Anne-Sophie composé par son deuxième mari André Previn. Celui-ci lui offrira par la suite six autres œuvres pour différents effectifs.
En 2007, une partition très attendue lui parvient : celle de In tempus praesens, de Sofia Goubaïdoulina : « L’un des plus grands moments dans ma vie – et l’un des plus grands challenges – fut l’arrivée de la partition. Je n’avais jamais rencontré Sofia Gubaïdulina auparavant. La première fois que je l’ai vue, c’était à la répétition avec piano de l’œuvre. Je peux vous dire que j’avais l’impression d’être devant l’apôtre Pierre – d’ouvrir la porte du paradis ! Sa présence physique et sa force spirituelle sont uniques .»
Ce qui émeut le plus la violoniste, c’est la façon dont l’œuvre symbolise la condition de l’artiste : « Comme nous partageons le même prénom, elle a choisi Sophie comme thème principal, qui symbolise le combat contre la société. C’est le seul violon dans toute l’orchestration. Le violon se bat contre l’orchestration. C’est très autobiographique. » L’œuvre est crée le 30 août 2007 au Festival de Lucerne avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin dirigé par Sir Simon Rattle.
En 2009, Wolfgang Rihm écrit Lichtes Spiel à son intention, puis Dyade, pour violon et contrebasse deux ans plus tard. Sebastian Currier, quant à lui, compose pour elle Aftersong (1994), Time Machines (2011) et Ringtone Variations (2013).
Plus récemment, elle crée Markings de John Williams en 2017 et l’été dernier son Concerto pour violon n° 2 avec l’Orchestre Symphonique de Boston sous la direction du compositeur. Elle commande également à Jörg Widmann Studie über Beethoven, qu’elle crée à Tokyo en février 2020.
Elle nous propose pour ce concert la création française de Grand Cadenza. Il s’agit d’un duo virtuose pour deux violons commandé à la compositrice d’origine sud-coréenne Unsuk Chin, composé en 2018. Cette œuvre sera créée à Regensburg avec Ye-Eun Choi le 21 octobre.