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    Nijinsky, le danseur du fantasme – par Nicolas Le Riche

    A l’occasion des représentations du ballet Nijinsky de John Neumier, le regard du danseur Etoile Nicolas Le Riche sur ce danseur unique dans l’histoire de la danse du XXe siècle.

    Si l’on me demande d’évoquer un danseur marquant je choisis sans aucune hésitation Vaslav Nijinsky.
    Je décrirai dans un élan premier et avec force émotion sa danse, sa technique et son style… Les images ne manqueraient pas. Cependant, il n’échappera à personne que la dernière représentation en scène de Vaslav Nijinsky ayant eu lieu en 1919, je ne l’ai pas « regardé » danser, avec mes yeux. Danseur du fantasme par excellence, Nijinsky continue non seulement de nous fasciner mais aussi de dialoguer avec notre imaginaire. Ses élévations, ses pirouettes hantent aujourd’hui encore les danseurs dans leur pratique quotidienne, comme les émotions du public au soir des spectacles qui s’abandonnent librement à ressentir le spectre volant de Vaslav.

    Puis le danseur devint chorégraphe et bouleversa un autre champ de son art : l’écriture. Avec L’Après-midi d’un Faune, en 1912, il change la donne et se place là où on ne l’attend pas : au sol ! De ses élévations qui le rendirent célèbre il ne se sert qu’une fois. Un unique saut dans cette fresque chorégraphique qui choqua alors la morale et l’esthétique… Nous imaginons la frustration d’un public en attente de virtuosité. Pire encore, il se couche à terre sur un voile. Le scandale éclate et surprend Nijinsky .

    Je n’ai pas lu le texte de Mallarmé L’après-midi d’un Faune. Je ne comprends pas encore assez bien le français pour lire les textes littéraires, mais je fus très étonné, choqué même, de voir une partie du public et quelques journalistes découvrir dans mes gestes une intention malsaine. Ce que j’ai cherché seulement pour composer mon personnage, c’est d’allier aux attitudes classiques, des mouvements esthétiques en rapport avec son caractère.

    Dans sa tourmente le chorégraphe a trouvé dans la musique de Debussy un partenaire idéal. Et l’on comprend ce que les deux artistes partagent à la lecture de ces quelques mots de Debussy :

    La musique est une mathématique mystérieuse dont les éléments participent de l’Infini. Elle est responsable du mouvement des eaux, du jeu des courbes que décrivent les brises changeantes ; rien n’est plus musical qu’un coucher de soleil ! Pour qui sait regarder avec émotion c’est la plus belle leçon de développement écrite dans ce livre, pas assez fréquenté par les musiciens, je veux dire : la Nature… ils regardent dans les livres, à travers les maîtres, remuant pieusement cette vieille poussière sonore ; c’est bien, mais l’art est peut-être plus loin !

    La lecture de Nijinsky de la partition musicale est parfaite. La musique coule dans les veines du Faune et agit comme son âme. Tour à tour, la flûte initie le geste quand ce n’est pas le pas qui motive le triangle. Suivront d’autres fructueuses collaborations, si chères à Diaghilev, avec de grands compositeurs. Ce sera à nouveau Debussy avec Jeux, puis Stravinsky pour Le Sacre du printemps au Théâtre des Champs-Elysées, enfin Richard Strauss pour Till Eulenspiegel. Nijinsky dialogue avec les arts à défaut de parler avec les hommes.

    Cette vie rêvée laisse bientôt place à une vie d’homme : un mariage, la guerre, et la maladie qui finira d’emmener Nijinsky sur des terres où l’homme n’a pas sa place.

    L’homme de scène s’envole et nous laisse avec nos fantasmes. Si Nijinsky est l’incarnation troublée d’un corps et d’un esprit, d’une matière et d’un parfum, immatériel, intemporel, il est assurément l’homme de la danse… Celui dont on rêve…

    Retrouvez l’évocation du parcours hors norme de Vaslav Nijinsky retracé par Martine Kahane dans la nouvelle collection des Chroniques du Théâtre des Champs-Elysées.

    En vente sur place au Théâtre à l’occasion des représentations du Ballet national du Canada (10 euros)

    Nijinsky, de John Neumeier

    Du 3 au 8 octobre 2017

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