C’était il y a 110 ans… #2
Episode 2
Après le récit de la fastueuse ouverture du 31 mars et des premiers concerts d’avril lors de l’épisode 1, attachons-nous pour ce deuxième épisode à la première quinzaine du mois de mai et plus précisément à deux créations importantes : la première parisienne de l’opéra Pénélope de Fauré le 10 mai suivie cinq jours plus tard par la création du ballet Jeux dans une chorégraphie de Nijinski et sur une musique de Debussy.
En attendant Pénélope
Maître dans l’art de la mélodie, Gabriel Fauré est, aux côtés de Saint-Saëns, Ravel et Debussy, l’un des musiciens français les plus importants de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Le projet de son opéra Pénélope lui fut inspiré par Lucienne Bréval, la grande soprano dramatique de cette époque. C’est à elle que revient également l’idée de faire appel pour le livret à René Fauchois. Ce dernier, déjà auteur de nombreuses pièces dramatiques, avait collaboré auparavant avec Reynaldo Hahn, autre grand maître de la mélodie. Pénélope fut créée à l’Opéra de Monte-Carlo le 4 mars 1913 mais connaîtra véritablement la consécration que lors de sa première parisienne deux mois plus tard, le 10 mai, dans le nouveau « temple » de l’avenue Montaigne.
La composition de l’ouvrage nécessita cinq ans de travail à Fauré qui à force de coupes concentra tout son talent sur la représentation subtile des sentiments du couple Pénélope-Ulysse. La presse de l’époque consacra son duo de créateurs, Lucienne Bréval, pour qui le rôle avait été écrit, et le ténor Lucien Muratore.
Il faudra attendre 1919 pour la voir réapparaître, cette fois-ci sur la scène de l’Opéra-Comique et avec l’immense Germaine Lubin dans le rôle-titre (rôle qu’elle interprétera également en 1943 à l’Opéra de Paris). Mais Pénélope n’en n’avait pas fini avec le Théâtre des Champs-Elysées. Le chef Inghelbrecht, déjà présent au pupitre avenue Montaigne en 1913 et grand défenseur du répertoire français, en donna en 1956 une version de concert avec Régine Crespin dans le rôle-titre, version aujourd’hui légendaire et dont il reste un enregistrement live inégalé à ce jour.
Puis vinrent les Russes et Jeux
Cinq jours après le triomphe de Pénélope, Les Ballets Russes de Serge de Diaghilev inaugurent leur 8eme Saison parisienne avec une soirée ballets en trois temps comprenant les reprises de L’Oiseau de feu et de Shéhérazade et la création de Jeux sur une musique de Debussy, une chorégraphie de Nijinski (la seconde après L’Après-midi d’un faune la saison précédente) et des décors et costumes de Bakst. A la différence du Sacre à venir, il n’y aura là ni controverse ni succès et finalement seule la partition survivra avec le temps. Y travaillant en même temps que Le Sacre (et l’on sait l’énergie que ce Sacre exigea de sa part), peut-être Nijinski n’a-t-il pas assez consacré de temps et d’attention à l’œuvre de Debussy. Le public, lui, fut déconcerté par l’argument (dont Nijinski était également l’auteur) relatant une histoire de joueur de tennis que la recherche d’une balle perdue conduit à quelques flirts. Nijinski dansait le rôle principal et les deux rôles féminins furent confiés à Ludmilla Schollar et Tamara Karsavina, deux des plus belles étoiles de la troupe de Diaghilev. Pierre Monteux dirigeait l’orchestre pour ce soir de première comme il le fera quinze jours plus tard pour celle du Sacre.
Jeux au-delà des Russes
Lors de la première saison des Ballets Suédois à l’automne 1920, le chorégraphe Jean Börlin proposera une nouvelle version du ballet, cette fois-ci dans un décor de Pierre Bonnard. Une nouvelle fois, le ballet ne rencontre pas le succès escompté. Aujourd’hui, cette page tardive de Debussy est unanimement reconnue comme une œuvre visionnaire qui influence l’histoire de la musique du XXe siècle et qui est régulièrement inscrite aux programmes des plus grands formations symphoniques du monde.
Rendez-vous d’ici quelques jours pour la suite du récit de cet incroyable printemps 1913 avenue Montaigne.