Potions, breuvages, philtres et nectars à l’opéra
Fioles d’arsenic, décoctions d’herbes rares, breuvages ensorcelés, philtres d’amour, placebos convaincants : à l’opéra, on aime jouer les mages et les apprentis sorciers. A y regarder de plus près, le ” veleno” (poison) s’insinue dans bien des livrets, toutes époques confondues, distillant son venin pour servir différentes causes, de la plus noble à la plus avilissante, retournant l’intrigue avec autant de rapidité que surgissent parfois les antidotes les plus inattendus… mais une chose est sûre : mieux vaut ne pas avoir trop soif…
L’amour, toujours l’amour
A l’opéra (et peut-être même ailleurs ?), la vie est bien mal faite : on convoite toujours ce qu’on ne peut obtenir, et l’amour n’échappe pas à cette règle intangible. Souvent, le héros ou l’héroïne souhaite s’attacher l’amour exclusif de l’être aimé. Dans Orlando furioso de Vivaldi, Alcina fait boire à Ruggiero un breuvage qui l’assurera de son amour et lui fera oublier Bradamante ; dans Mireille de Gounod, Ourrias traverse le Val d’Enfer à la recherche de Taven, qui pourra lui vendre une potion magique pouvant lui apporter l’amour de Mireille. Dans L’Elixir d’amour, Nemorino, croyant boire une potion destinée à lui faire obtenir le cœur d’Adina, succombe en réalité à la douce euphorie que provoque un simple vin de Bordeaux…
A l’inverse, d’autres boivent le calice jusqu’à la lie pour oublier la promesse qui les lie à un autre : nous pensons bien sûr à Roméo et Juliette de Gounod ; Frère Laurent, dans le célèbre air « Buvez-donc ce breuvage » fournit à Juliette la potion qui doit lui donner l’apparence de la mort pour échapper à un mariage impossible.
Dans Le Trouvère de Verdi, Leonora boit une fiole de poison pour se soustraire au Comte. Aspasia, dans Mithridate de Mozart, tente de se donner la mort en buvant une coupe de poison pour échapper à la colère de Mithridate et au destin qu’il lui réserve loin de Sifare. Ou encore Amelia dans Un Ballo in maschera de Verdi qui demande à la magicienne un breuvage capable d’effacer de son cœur un amour sans espoir.
D’autres encore ingèrent des substances léthales pour en finir avec une existence qui les a déçus ou qui les a irrémédiablement séparés de l’être aimé : citons la mort de Didon (Dido and Æneas de Purcell), le désespoir du Docteur Faust au début de l’opéra, ou encore le suicide de Suor Angelica.
Il existe aussi des cas particuliers, où le poison se fait plus subversif, dont le plus emblématique est celui de Tristan et Isolde de Wagner : le héros pense qu’il boit du poison et se réjouit de la mort. L’héroïne appelle également la mort de ses vœux et vide la coupe. Mais celle-ci contient un philtre d’amour, et non du poison ! Cet amour interdit les conduira pourtant à la mort – mais il faudra patienter plusieurs heures…
La vengeance, moteur inépuisable de l’âme humaine
Luttes de pouvoir, trafics d’influence, histoires de successions, héritages abusifs, renégats, enfants illégitimes, usurpateurs : la littérature opératique regorge de bonnes raisons de vouloir faire taire ses adversaires à grand renfort de coupes, calices, fioles, ampoules ou flacons !
Dans Lucrèce Borgia de Donizetti, Gennaro est empoisonné par du vin provenant de la carafe en or du Duc Alfonso, mais lorsque son épouse Lucrèce réalise qu’il s’agit de son fils perdu depuis longtemps, elle le sauve en lui administrant une fiole d’antidote. Au dernier acte, son fils choisira pourtant de mourir du poison plutôt que d’accepter une autre dose d’antidote de la part de la femme dont il vient d’apprendre qu’elle est sa mère (il faut suivre !).
Dans Simon Boccanegra, Paolo Albiani empoisonne le Doge ; dans Thésée de Lully, Médée, pour assouvir sa vengeance, prévoit de faire passer Thésée de vie à trépas en lui faisant boire un vase rempli de poison ; les deux héros de Luisa Miller de Verdi, Luisa et Rodolfo, se rejoignent dans la mort en buvant à la coupe fatale.
Parfois, les élixirs sont l’objet même de l’opéra, mais de façon induite, comme par exemple dans L’Affaire Makropoulos de Janáček, où l’héroïne Elina, née en Crète en 1575, vit toujours, 337 ans plus tard, grâce à l’ingestion d’une potion de jouvence.
Dernier petit clin d’œil de Donizetti pour boucler la boucle : dans L’Elixir d’amour, le nom du charlatan Dulcamara vient d’une solanacée (Solanum dulcamara), l’une des seules douces-amères qui ne contienne ni scopolamine ni hyoscyamine, deux poisons violents d’habitude présents dans ces fleurs… A croire que les compositeurs sont parfois de fins chimistes !